Déclaration de Pierre Frogier lors de la rencontre avec le Président de la République
Monsieur le Président de la République,
Au moment où la Nouvelle Calédonie est de nouveau à la recherche d’un chemin d’avenir , je souhaite saluer votre présence sur cette terre de Nouvelle-Calédonie, située à « l’autre bout du monde » comme aiment, trop souvent me le rappeler mes collègues parlementaires.
Ce bout du monde dont les enjeux stratégiques restent trop souvent méconnus à Paris.
Le 30 octobre 2017, sous le format dit du « comité des signataires » vous nous faisiez l’honneur de nous recevoir à l’Elysée.
En cette circonstance, je me permettais de vous exposer que depuis la signature des accords de Matignon, la Nouvelle-Calédonie vivait un processus exemplaire : après la violence des affrontements et malgré les fractures, les blessures et les deuils, nous avions choisi le chemin de la réconciliation et de la paix.
L’Accord de Nouméa, pour sa part, prolongeait cette volonté de construire notre avenir.
C’est dans cet esprit qu’en 2010, je proposais qu’aux côtés du drapeau national flotte le drapeau identitaire kanak comme signe de reconnaissance mutuelle des deux légitimités qui cohabitent sur cette terre.
En 2017, je vous disais ma conviction que nous avions la responsabilité de trouver, ensemble – malgré nos divergences et nos oppositions – une solution institutionnelle durable, novatrice, susceptible d’être adoptée par le plus grand nombre.
Que nous devions inventer une solution partagée, pour construire une Nouvelle-Calédonie, largement autonome, avec sa propre personnalité.
Monsieur le Président, 6 années plus tard, je constate que nous sommes revenus chacun sur le pré-carré de nos convictions, comme si l’autre n’existait pas. Qu’après avoir invoqué une communauté de destin, ce sont deux visions antagonistes et inconciliables de l’avenir qui s’affrontent.
À la vérité, tout ce que nous avions patiemment élaboré et construit ensemble, tout ce cheminement difficile qui nous a fait choisir la réconciliation, la reconnaissance de l’autre, le partage des responsabilités, en un mot tout ce qui a fondé cette exemplaire exception calédonienne semble perdu.
Alors que l’Accord de Nouméa traduisait, à sa naissance, la recherche du consensus, en excluant le référendum couperet prévu en 1998, il nous a entraînés, à trois reprises, dans tous les dangers de ces référendums mortifères.
Tout ce processus, fragile et précieux s’est fracassé sur ces référendums qui, dans leur brutalité majoritaire n’ont apporté aucune solution.
Certes, la majorité des calédoniens ont, à trois reprises réaffirmé leur volonté de rester dans la France et nous n’avons jamais douté de leur choix.
Mais je ressens, aujourd’hui comme un échec personnel de n’avoir pu convaincre les différents partenaires de l’inanité du processus référendaire dans lequel nous nous sommes enfermés.
En effet, l’aspiration commune n’est plus le partage des responsabilités, mais bien l’exercice exclusif du pouvoir au prix d’un retour aux rapports de forces politiques traditionnels.
Monsieur le Président, « dans tous conflits, il y a un fait dominant à priori non partageable, autour duquel tout s’organise. La paix du compromis n’est possible que si cet élément est clairement identifié, puis réduit ». C’est signé Michel Rocard.
Dix-huit mois après la tenue du troisième référendum, les Calédoniens sont sceptiques, inquiets, saisis d’aspirations contradictoires, mais ils sont aussi largement disponibles pour une solution d’avenir leur permettant de consolider leur aspiration commune à un vivre-ensemble.
Il me parait toutefois illusoire de penser que les forces politiques locales sont en capacité d’élaborer seules, ce compromis.
Nous avons besoin d’un État dont le pouvoir s’incarne dans une parole qui se confond avec l’action, d’un État dont la parole s’inscrit dans le temps long, d’un État qui sait dépasser les simples évènements pour viser l’essence des choses.
Viser l’essence des choses, c’est se rappeler que la vie de chacun d’entre nous est faite de mémoire, d’histoire, de projets, d’espérance.
Monsieur le Président de la République, je veux réaffirmer devant vous que la solution partagée est une évidence.
La Calédonie a besoin de vous pour la rendre possible
Cette terre de France a besoin de notre détermination, de notre foi et de notre force pour être digne de sa devise « terre de paroles, terre de partage »